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Cour d’assises statuant en appel : de nombreux éclairages apportés

Pénal - Procédure pénale
21/02/2020
La Cour de cassation se penche sur la procédure des arrêts de cour d'assises statuant en appel : motivation, période de sûreté, aggravation des dommages et intérêts, etc. Retour sur les précisions apportées. 
Un homme est mis en accusation devant la cour d’assises pour l’incendie volontaire d’un immeuble, entraînant la mort d’un occupant et des blessures sur deux autres. Il est reconnu coupable et condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle. La cour statue sur les intérêts civils le même jour. L’accusé et le ministère public interjettent appel.
 
La cour d'assises statuant en appel se prononce sur l’action publique et l’action civile. Néanmoins, après un pourvoi formé, la Cour de cassation censure l’arrêt « au motif que la feuille de motivation contenait une motivation du choix de la peine prononcée ». L’affaire est jugée par une nouvelle cour d’assises, statuant également sur les actions publique et civile. Le condamné décide de former un nouveau pourvoi en cassation.
 
Sur la motivation de la décision rendue en appel
Le premier moyen porte sur l’article 327 du Code de procédure pénale. Pour le demandeur, l’arrêt de la cour d’assises statuant en appel est évoqué dans le procès verbal des débats, sans faire référence à sa motivation. Pour autant il a été annulé par la Cour de cassation. Il soutient alors que seule la décision rendue en premier ressort par la cour d’assises devait être citée.
 
La Haute juridiction (Cass. crim., 22 janv. 2020, n° 19-80.122) rappelle que l’article 327 du Code dispose que « le président de la cour d’assises statuant en appel donne, à l’ouverture des débats, connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort, de sa motivation et de la condamnation prononcée ».

La Cour de cassation, s’étant déjà prononcée sur le sujet, estime que cette disposition empêche le président de la cour d’assises de donner connaissance du sens de la décision annulée, de sa motivation et de la condamnation prononcée lorsque la cour d’assises statue sur renvoi après cassation (Crim. 15 avril 2015, n° 13-88.519). Néanmoins, « cette disposition n’empêche pas le président de la cour d’assises de se borner à rappeler l’existence de la décision annulée » selon les hauts magistrats. Ainsi, le moyen ne peut être admis.
 
Sur les termes chambre du conseil et chambre des délibérations
Dans un second temps, le demandeur conteste, en se fondant sur l’article 355 du Code de procédure pénale, un défaut de concordance entre :
  • l’arrêt criminel attaqué qui fait état d’une délibération en chambre du conseil ;
  • le procès-verbal des débats qui mentionne que les magistrats et jurés se sont retirés en chambre des délibérations.
 Selon lui, la Cour de cassation ne peut s’assurer d’une délibération en chambre des délibérations comme le prévoit l’article précité.
 
La Cour de cassation rejette le moyen et estime « qu’il n’apparaît pas de contrariété dans ces mentions, qui n’établissent pas que les dispositions de l’article 355 du Code de procédure pénale aient été méconnues ». En effet, pour elle :
  • la chambre du conseil et la chambre des délibérations sont des termes pouvant être indifféremment utilisés pour désigner un même lieu ;
  • et aucune mention n'établit que la délibération se soit tenue en présence d’autres personnes que les membres de la cour, jury et jurés supplémentaires.
Sur le contenu de la feuille de motivation
Le troisième moyen conteste la feuille de motivation. Il y aurait une contradiction entre la feuille de motivation et le procès-verbal des débats. Et la cour d’assises se serait prononcée par des motifs méconnaissant les limites de sa saisine. Le demandeur affirme qu’elle ne peut statuer que sur les faits dont elle est saisie par l’ordonnance ou l’arrêt de mise en accusation.
 
Sur le premier point, la Haute juridiction rappelle le grief. Un courrier rédigé par les parties civiles, absentes et non représentées à l’audience, a été lu au cours de celle-ci.  Pour autant la feuille de motivation indique que cette partie civile a confirmé des propos incriminant l’accusé à l’audience. Alors, les juges de la Cour de cassation vont préciser que « ces mentions ne sont pas contradictoires entre elles, dès lors qu’il en résulte que la feuille de motivation s’est référée au contenu du courrier de la partie civile, lu à l’audience ».
 
Sur le second point, la feuille de motivation fait état des différents éléments permettant d’exprimer la gravité du comportement ainsi réprimé, entrant dans la détermination de la sanction mais cela ne constitue par pour autant pour la Haute juridiction, la motivation de la culpabilité d’une infraction distincte. Ainsi, « la cour d’assises a caractérisé en tous ses éléments le crime dont elle a reconnu l’accusé coupable » et le moyen ne peut être retenu.
 
Sur la fixation de la période de sûreté 
Le demandeur dénonce une violation des articles 362, 365-1 (interprété au regard de la décision n° 2017-694 QPC du 2 mars 2018 du Conseil constitutionnel) et 593 du Code de procédure pénale. Selon lui, alors qu’il a été condamné à une peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sûreté de moitié, la peine ne peut être motivée qu’au regard des circonstances de l’infraction retenue et la période de sûreté en tant que modalité d’exécution de la peine nécessite une motivation particulière.
 
Pour autant, les hauts magistrats, affirment que la cour d’assises a indiqué les principaux éléments lui permettant de statuer sur la peine et a donc justifié sa décision, « sans se référer à une infraction dont elle n’était pas saisie ».
 
Sur la période de sûreté, la Cour de cassation précise qu’elle n’a pas « à prononcer de délibération particulière pour fixer la période de sûreté à la moitié de la peine ». Et affirme qu’ « aucune obligation de motiver la durée de la période de sûreté de plein droit ne résulte d’une disposition de la loi, ni des décisions du Conseil constitutionnel n° 2018-742 QPC du 26 octobre 2018 et n° 2019-770 QPC du 29 mars 2019 ».  Le grief ne peut donc être admis.
 
Sur les dommages et intérêts non attribués en première instance
Sur les trois derniers moyens pris de la violation des articles 1382 (devenu 1240) du Code civil, 2, 3, 380-6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation va donner raison au demandeur. Ce dernier conteste le fait que la cour d’assises d’appel, l’a condamné à verser une somme complémentaire et a aggravé le montant à verser à la partie civile au titre du préjudice moral. Il soutient alors que la cour d’assises d’appel ne peut aggraver le sort de l’accusé si la partie civile n’a pas interjeté appel et si elle n’a pas constaté une aggravation du préjudice.
 
La Haute juridiction va alors se fonder sur l’article 380-6 du Code de procédure pénale et va censurer l’arrêt de la cour d’assises statuant en appel sur l’action civile. Le texte précise que cette dernière « ne peut sur le seul appel de l’accusé, du civilement responsable ou de la partie civile aggraver le sort de l’appelant ». La partie civile, elle, ne peut former aucune nouvelle demande en cause d’appel, sauf une augmentation des dommages et intérêts pour le préjudice souffert depuis la précédente décision.
 
La Cour de cassation a déjà estimé dans une précédente décision qu’un arrêt civil de la cour d’assises, qui statue en appel, accordant à une partie civile des dommages et intérêts sans préciser qu’ils réparent un préjudice souffert depuis la dernière décision, encourt la cassation (Cass. crim., 10 mai 2012, n° 11-81.437).
 
Dans cette affaire, les juges en concluent alors que « l’arrêt civil attaqué a accordé, à des parties civiles non appelantes, des dommages et intérêts qui n’avaient pas été attribués en première instance, sans constater qu’ils réparaient des préjudices subis depuis la décision prononcée par la cour d’assises statuant au premier degré ». Ainsi, la cour d’assises a  méconnu le texte visé et la cassation est encourue en ce qui concerne la décision sur les intérêts civils.
 
Source : Actualités du droit