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FNAEG : proportionnalité des dispositions relatives aux empreintes génétiques des personnes suspectées

Pénal - Procédure pénale
28/01/2019
Refusant de se conformer à la position de la Cour européenne des droits de l’homme, la Chambre criminelle de la Cour de cassation estime qu’au regard de la possibilité concrète dont dispose la personne simplement suspectée, de solliciter l’effacement des données enregistrées, les durées de conservation des empreintes génétiques sont proportionnées à la nature des infractions et aux buts des restrictions apportées au droit au respect de la vie privée.
Les faits ayant donné lieu à la présente décision sont les suivants. À l'occasion d'une manifestation non autorisée, deux fonctionnaires de police sont victimes de jets de projectiles et de coups de la part de plusieurs personnes ayant le visage dissimulé. Plusieurs personnes sont placées en garde-à-vue, dont l’une refuse, au cours de cette mesure, de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques et de prélèvement biologique destinées à permettre l'analyse et l'identification de son empreinte génétique.
À l’issue de l’enquête, cette personne est poursuivie devant le tribunal correctionnel pour association de malfaiteurs, violences aggravées, refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, en récidive et refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l'identification de son empreinte génétique, en récidive.
Le prévenu est relaxé du chef d'association de malfaiteurs, mais est déclaré coupable pour le surplus. Il interjette appel, de même que le procureur de la République.

Pour infirmer partiellement le jugement et relaxer le prévenu du chef de refus de se soumettre au prélèvement, la cour d’appel de Rennes se fonde notamment sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rendu contre la France en 2017 (CEDH, 22 juin 2017, req. n° 8806/12). Rappelons en effet que le juge européen a alors estimé que le régime actuel de conservation des profils ADN dans le Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), auquel le requérant s'était opposé en refusant le prélèvement, n'offrait pas, en raison tant de sa durée que de l'absence de possibilité d'effacement, une protection suffisante à l'intéressé. À cette occasion, la Cour européenne relevait également qu'aucune différenciation n'était prévue en fonction de la nature et de la gravité de l'infraction. Elle jugeait encore que la condamnation pénale du requérant pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement destiné à l'enregistrement de son profil dans le FNAEG s'analysait en une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et ne pouvait passer pour nécessaire dans une société démocratique, dont il découlait une violation de l'article 8 de la Convention (voir not. Dorange A., Inconventionnalité des dispositions relatives au FNAEG, Actualités du droit, 23 juin 2017).
Les juges rennais estiment qu'au vu, non seulement de cette décision, mais aussi de la nature ainsi que du degré de gravité des faits principaux reprochés au prévenu, il convient d’appliquer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de constater que la condamnation du prévenu pour l’infraction visée à l’article 706-56, II du Code de procédure pénale est contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
 
Au visa des articles 706-54 et 706-56 du Code de procédure pénale, ensemble l’article R. 53-14 du même code, la Chambre criminelle rappelle les règles applicables en la matière : « il résulte des premier et dernier textes que les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 sont conservées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques sur décision d'un officier de police judiciaire agissant soit d'office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction ». De plus « ces empreintes sont effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d'office, soit à la demande de l'intéressé, lorsque leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier et que s'il n'a pas été ordonné l'effacement, cette personne peut saisir à cette fin le juge des libertés et de la détention, dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de l'instruction ». En outre, « les informations enregistrées ne peuvent être conservées au-delà d’une durée de vingt-cinq ans à compter de la demande d’enregistrement si leur effacement n’a pas été ordonné antérieurement, excepté si la personne a fait l’objet d’une décision de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement exclusivement fondée sur l’existence d’un trouble mental en application du premier alinéa de l’article 122-1 du Code pénal, les résultats étant alors conservés pendant quarante ans à compter de la date de la décision ».
Et la Cour d’en déduire que « grâce à la possibilité concrète dont dispose l’intéressé de solliciter l’effacement des données enregistrées, ces durées de conservation sont proportionnées à la nature des infractions et aux buts des restrictions apportées au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
 
La Chambre criminelle examine ensuite le deuxième texte visé, qui incrimine le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique destiné à permettre l'analyse d'identification de son empreinte génétique (C. pr. pén., art. 706-56) et décline le raisonnement précédemment exposé à l’espèce. Elle considère ainsi qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés. Ceci, dès lors que « le refus de prélèvement a été opposé par une personne qui n’était pas condamnée mais à l’encontre de laquelle il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55, de sorte qu’elle avait alors la possibilité concrète, en cas d’enregistrement de son empreinte génétique au fichier, d’en demander l’effacement ».
Source : Actualités du droit