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Prescription pénale et prise illégale d’intérêts : précision jurisprudentielle

Pénal - Pénal
15/09/2025

La prise illégale d’intérêts demeure un délit sensible en matière de probité publique. Il sanctionne toute situation où une personne investie d’une fonction publique tire un avantage personnel d’une opération placée sous sa surveillance ou son administration. Une décision récente de la Cour de cassation apporte une précision sur le point de départ de la prescription applicable à ce délit.

Rappel des faits

Une élue régionale a présidé pendant près de dix ans une commission chargée de sélectionner les candidatures aux logements sociaux financés par la région, laquelle disposait d’un droit réservataire. Il lui était reproché d’avoir obtenu pour elle-même un appartement relevant de ce contingent, en contournant la procédure normale : sa candidature a été adressée directement au bailleur au titre de l’urgence sociale, sans information a posteriori de la commission, alors que ses revenus excédaient les plafonds et qu’elle ne pouvait prétendre à un tel logement en tant qu’élue.

Poursuivie pour prise illégale d’intérêts, l’intéressée a soulevé une exception de prescription de l’action publique, rejetée par la cour d’appel.

Cadre juridique

L’article 432-12 du Code pénal réprime le fait, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, de prendre, recevoir ou conserver un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance ou l’administration, à condition que perdure le cumul de ces qualités.

S’agissant de la prescription, l’article 8 du Code de procédure pénale prévoit que le délai court le lendemain du jour de la commission de l’infraction. La jurisprudence admet toutefois que certaines infractions prennent la nature d’infractions continues lorsque l’auteur tire régulièrement des bénéfices d’une situation permanente : dans ce cas, la prescription ne commence qu’au jour où cesse la situation illicite.

Apport de la décision

Pour écarter la prescription, la cour d’appel avait retenu que la conservation de l’appartement constituait une situation continue jusqu’à la libération des lieux. La Cour de cassation censure ce raisonnement : il ne suffit pas que l’avantage perdure, encore faut-il que l’auteur conserve, durant toute la période considérée, un pouvoir de surveillance ou d’administration sur l’opération en cause.

En l’espèce, si l’intéressée avait exercé un tel pouvoir lors de l’attribution initiale, rien ne démontrait qu’elle l’ait conservé après la signature du bail. La simple jouissance du logement ne suffit pas à prolonger la période infractionnelle. À défaut de caractériser ce cumul de qualités dans la durée, la juridiction du fond ne justifie pas le report du point de départ de la prescription.

Par ailleurs, dès lors qu’il ressortait des mentions de la prévention qu’une dissimulation de la manœuvre avait pu intervenir, les juges du fond devaient rechercher si un acte délibéré avait été accompli pour empêcher la découverte des faits, ce qui est susceptible d’influer sur l’appréciation de la prescription.

En définitive, cette décision rappelle que la qualification d’infraction continue exige une analyse stricte du maintien des pouvoirs sur l’opération litigieuse. À défaut, la prescription commence à courir dès la commission des faits. Pour les personnes publiques comme pour les bailleurs sociaux et les collectivités, l’enjeu est d’objectiver la traçabilité des procédures et de documenter les décisions d’attribution afin de sécuriser les opérations et d’éviter tout risque pénal lié à un avantage personnel indûment obtenu.