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Surpopulation carcérale : la France épinglée par la CEDH

Pénal - Vie judiciaire, Peines et droit pénitentiaire
06/02/2020
Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour conditions de détention dégradantes et inhumaines et pour absence de recours effectif ayant pour finalité de prévenir ou faire cesser la situation. Une condamnation qui semblait difficilement évitable.
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été saisie entre 2015 et 2017 par 32 requérants, dont 29 ressortissants français. Tous détenus, ils dénoncent leurs conditions de détention, estimées inhumaines et dégradantes (violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales), une violation au droit à la vie privée et familiale (violation de l’article 8) et également l’absence de recours effectif à cet égard (violation de l’article 13).
 
La CEDH leur donne raison et déclare recevable le grief des requérants, à l’exception de trois, libres au moment de l’introduction de leur requête et deux ayant déjà obtenu la reconnaissance du caractère indigne de leurs conditions de détention et violation de l’article 3 de la Convention. La Cour reconnaît aussi l’absence de recours préventif effectif en droit interne.
 
Une surpopulation carcérale attestée
Plus concrètement, sont concernés les centres pénitentiaires de Ducos, Faa'a Nuutania et Baie-Mahault et les maisons d'arrêt de Nîmes, Nice et Fresnes. 

Les requérants détenus au centre de Ducos, en Martinique, se plaignent d’un manque d’espace personnel, de la proximité de la table à manger avec les toilettes, de l’insalubrité des cellules, infestées de rats, cafards, souris et fourmis, de la saleté des toilettes, du manque d’hygiène et d’aération, du manque de lumière. Certains dénoncent encore un climat de violence ou l'insuffisance, voire l’inexistence, de soins. Mais tous expliquent être enfermés entre quinze et vingt-deux heures par jour.
 
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'au 1er janvier 2015, le taux d’occupation du centre était de 213,7 % en quartier maison d’arrêt et de 124,6% en quartier centre de détention. Quatre ans plus tard, il était respectivement de 134 % et 86,1 %. Des travaux ont permis la réhabilitation, l'extension et la construction d’un nouveau bâtiment. Et, une réorganisation des unités sanitaires est prévue.
 
En juillet 2014, ils décident alors de saisir le tribunal administratif d’une action en responsabilité de l’État. Le tribunal reconnaît des conditions de détention dégradantes au sens de l’article 3 de la Convention, constitutives d’une faute.
 
Les détenus du centre en Polynésie française dénoncent de leur côté un espace personnel trop faible, la présence d’animaux nuisibles, la vétusté des locaux et installations sanitaires, manque d’hygiène, odeurs, absence d’eau chaude et d’eau potable et trop peu de nourriture. Mais également un climat de violence ainsi que des délais déraisonnables pour obtenir des soins médicaux.
 
Ce centre avait pour taux d’occupation 216 % pour le quartier maison d’arrêt et 229 % pour le centre de détention au 1er septembre 2016. Un nouveau centre a été construit l’année suivante pour désengorger et accueillir de nouveaux détenus. Au 1er janvier 2019, le taux d’occupation était pour le quartier maison d’arrêt de 143 % et 185,7 % dans le nouveau centre.
 
Le centre de Baie-Mahault connaît un taux de surpopulation de 150 % en mars 2017. Deux ans plus tard, il est passé à 189 % pour la maison d’arrêt et 89 % pour le centre de détention. Le requérant dénonce le manque d’espace personnel, un climat de tension et de violence en précisant même avoir été agressé à plusieurs reprises, « sans que les autorités ne réagissent ».
 
La maison d’arrêt de Nîmes a elle, un taux de surpopulation qui est passé de 215 % en février 2015 à 205 % en 2019. Les requérants se plaignent eux de la vétusté des cellules, partagées avec des personnes très âgées, du bruit, des odeurs, du défaut d’hygiène et de l’absence de ventilation et d’isolation thermique.
 
Celle de Fresnes connaît aussi un taux de surpopulation frôlant les 200 % depuis 2017. Les trois requérants dénoncent un espace personnel inférieur à 4 m2, l’enfermement vingt-deux heures par jour, la douche uniquement trois fois par semaine, la médiocrité des repas, du manque d’hygiène, autant dans les cellules que parties communes mais également un climat de tension et de violence, notamment avec le personnel. Une autre critique porte sur la fouille à nu après chaque parloir.
 
Les conditions carcérales de la maison d’arrêt de Nice sont également dénoncées, particulièrement le quartier des femmes qui connaissait au 1er juin 2017 un taux de surpopulation de 185 %. Conditions de détentions dénoncées, les quatre requérantes font état d’un manque d’hygiène, de lumière et d’absence d’aération ou encore de défaillances dans les soins.
 
L’absence de recours préventif effectif
La CEDH va alors répondre point par point. Dans un premier temps sur la violation de l’article 13. Ce dernier prévoit que « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ».
 
Le gouvernement défendeur préconise les recours en référé exercés devant le juge administratif. La Cour devait donc s’interroger sur l’efficacité de ce recours pour mettre réellement fin aux conditions de détention qui seraient contraires à la Convention.
 
Néanmoins, les juges considèrent « qu’il n’a pas été démontré que les voies de recours préventives indiquées par le Gouvernement sont effectives en pratique, c’est-à-dire susceptibles d’empêcher la continuation de la violation alléguée et d’assurer aux requérants une amélioration de leurs conditions matérielles de détention ». Il en est de même du référé mesures-utiles. Ainsi, sauf pour l’un des requérants qui n’a pas allégué une violation dudit article, les autres « n’ont pas disposé d’un recours effectif en violation de l’article 13 de la Convention ».
 
La surpopulation et la vétusté dénoncées
Dans un second temps, la Cour répond sur les griefs tirés de l’article 3 de la Convention relatif aux conditions de détention. Pour mémoire, cet article dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». 
 
La cour rappelle que « la norme minimale pertinente en matière d’espace personnel est de 3m2 à l’exclusion de l’espace réservé aux installations sanitaires » selon une jurisprudence antérieure (CEDH, 20 oct. 2016, n° 7334/13, §§ 110 et 114, M. c/ Croatie). À défaut de cet espace minimum, la CEDH suppose une présomption de violation de l’article 3 de la Convention. Présomption pouvant être écartée par le gouvernement défendeur si les éléments suivants sont réunis :
  • les réductions de l’espace personnel sont « courtes, occasionnelles et mineures » ;
  • le détenu connaît une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates ;
  • le requérant est incarcéré dans un établissement offrant « des conditions de détention décentes et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention ».
La CEDH va rappeler que, malgré le surpeuplement, il « n’est pas important au point de soulever à lui seul un problème sous l’angle de l’article 3 ». Néanmoins, elle considère « que d’autres aspects des conditions de détention sont à prendre en considération dans l’examen du respect de cette disposition ». En l’occurrence il s’agit de : l’aération, l’accès à la lumière et à l’air libre, le respect des exigences sanitaires, etc.
 
Elle rapporte aussi que lorsque les requérants décrivent une situation pouvant constituer « un commencement de preuve d’un mauvais traitement », la charge de la preuve est transférée au gouvernement défendeur qui est le seul à pouvoir confirmer ou infirmer les allégations des requérants. Il doit alors recueillir et produire des documents pertinents et apporter une description détaillée des conditions de détention.
 
« Dans les espèces examinées, la Cour note que le Gouvernement a produit des informations sur la fin de la détention des requérants ou sur la date de leur fin de peine. En revanche, elle constate que la précision des informations communiquées par le Gouvernement sur l’espace personnel des requérants est limitée », parfois inexistantes et incomplètes. Ainsi, la CEDH estime que le défendeur n’a pas réfuté de façon convaincante les allégations de certains requérants.
 
Concernant les toilettes, « la Cour observe enfin que pour l’ensemble des prisons concernées, le Gouvernement donne une explication sécuritaire à l’absence de cloisonnement complet ». Pour autant, « cette justification n’est pas compatible avec les exigences de la protection de l’intimité des détenus lorsqu’ils partagent des cellules sur-occupées ».
 
Ainsi, la CEDH décide :
  • de rejeter les requêtes concernant les fouilles corporelles et l’ouverture du courrier ;
  • de joindre les requêtes ;
  • de reconnaître la violation de l’article 13 de la Convention relatif au recours préventif ;
  • de condamner la France pour violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de détention ;
  • et de condamner l’État défendeur à verser aux requérants une indemnisation personnalisée.
 
Rappelons que l'article 8 de la Convention dispose que « 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
 
La Cour estimera néanmoins qu’il n’y a pas lieu d’examiner une éventuelle violation de l’article 8. Et pour le requérant dénonçant l’ouverture de ses courriers, la Cour rejette sa requête pour défaut de fondement.
 
 Des mesures générales attendues
La surpopulation et la violation à l’article 3 de la Convention étant avérées, la Cour recommande au gouvernement défendeur d’adopter des mesures générales pour y faire face. Et propose une mise en conformité comportant la résorption définitive de la surpopulation, grâce notamment à une refonte du mode de calcul de la capacité des établissements pénitentiaires.
 
Le deuxième point d’action porterait sur un recours préventif et effectif permettant aux détenus victimes d’améliorer leur situation et d’empêcher la continuation d’une violation.
 
Le plan pénitentiaire déployé
A noter que la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit des réformes en matière d’exécution des peines mais aussi une allocation de moyens supplémentaires permettant d’avoir un impact positif sur la réduction du nombre de personnes détenues. Objectif du plan pénitentiaire publié en 2018 : redonner du sens à la peine.
 
La loi supprime toutes les peines inférieures à un mois de prison et pour celles inférieures à un an, favorise le travail d’intérêt général (v. TIG : le décret tant attendu publié, Actualités du droit, 22 janv. 2020) et le bracelet électronique. La libération sous contrainte est aussi rendue systématique aux deux tiers de la peine pour les peines d’une durée inférieure ou égale à cinq ans.
 
Quant aux places de prison, la programmation prévoit d’optimiser le nombre de places pour faire face à la surpopulation. La CEDH rappelle les objectifs du plan pénitentiaire : 7 000 d’ici 2022 et 15 000 d’ici 2027. Le budget de la Justice (v. Budget de la justice : l’effort d’investissement concentré sur le pénal, Actualités du droit, 30 sept. 2019), en hausse, comprend également la création de 1 000 emplois dédiés à l’administrations pénitentiaires.
Source : Actualités du droit