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La loi « anticasseurs » se sera fait attendre !

Pénal - Procédure pénale, Peines et droit pénitentiaire, Droit pénal spécial, Informations professionnelles
11/04/2019
La loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations vient (enfin !) de paraître au Journal officiel. Si le Conseil constitutionnel a censuré l’interdiction de manifester prononcée par le préfet, plusieurs autres mesures ont passé le filtre. Décryptage des nouvelles dispositions, parmi lesquelles la peine d’interdiction de manifester et la pénalisation de la dissimulation du visage au cours d’une manifestation.
Adopté le 12 mars dernier (Proposition de loi « anticasseurs » : adoption définitive d’un texte critiqué, Actualités du droit, 13 mars 2019), le texte a été partiellement censuré par le Conseil constitutionnel le 4 avril (Cons. const., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC, JO 11 avr. ; voir not. Loi anticasseurs : l’interdiction administrative de manifester contraire à la Constitution, Actualités du droit, 4 avr. 2019).

La loi « anticasseurs » se sera fait attendre, au point que l’on a pu se demander si l’article 10 de la Constitution n’allait pas être mis en œuvre (Loi anticasseurs : toujours pas de promulgation…, Actualités du droit, 9 avr. 2019).
Les nouvelles dispositions entrent en vigueur le 12 avril 2019.

Le texte marque indéniablement, mais sans véritable surprise, un renforcement de la répression. Au programme, l’extension de la fouille des bagages et des véhicules, l’incrimination de la dissimulation du visage au cours des manifestations, la peine complémentaire d’interdiction de manifester et la possibilité pour l’État d’exercer une action récursoire contre les auteurs des faits dommageables.
Il est également procédé à une simplification des règles relatives à la déclaration de manifestation sur la voie publique (CSI, art. L. 211-2 : élection de domicile de l’un des organisateurs dans le département, et non plus d’au moins 3 d’entre eux).

 

1) Fouille des bagages et visite des véhicules sur réquisition du parquet


L’article 2 de la présente loi crée l’article 78-2-5 du Code de procédure pénale, qui étend au contexte des manifestations sur la voie publique, la possibilité d’inspecter et de fouiller les bagages et la visite des véhicules.
Ceci, aux fins de recherche et de poursuite de l’infraction prévue à l’article 431-10 du Code pénal, c’est-à-dire en vue de prévenir la participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme.
Les officiers de police judiciaire (C. pr. pén., art. 16, 2° à 4°) et, sous leur responsabilité, les agents de police judiciaire (C. pr. pén., art. 20 et C. pr. pén., art. 21, 1°, 1° bis et 1° ter) peuvent désormais, sur réquisitions écrites du procureur de la République, procéder sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats :
  • à l’inspection visuelle des bagages des personnes et leur fouille (C. pr. pén., art. 78-2-2, III) ;
  • à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public (C. pr. pén., art. 78-2-2, II).
Le fait que ces opérations révèlent d’autres infractions ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

Rejetant les griefs formulés, le Conseil constitutionnel a déclaré la conformité de cette disposition (Cons. const., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC, § 13 et s.).

En effet, ces dispositions poursuivent un objectif légitime (la recherche des auteurs d'une infraction de nature à troubler gravement le déroulement d'une manifestation), sont limitées dans le temps et l’espace, placées sous le contrôle d'un magistrat de l'ordre judiciaire et ne peuvent conduire à une immobilisation de la personne que le temps strictement nécessaire à la réalisation de la fouille.

Elles n'ont donc pas, par elles-mêmes, pour effet de restreindre l'accès à une manifestation, ni d'en empêcher le déroulement.

Dès lors, le législateur a procédé à une conciliation qui n'est pas déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées et n'a pas porté au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée.
 
 

2) Dissimulation du visage au cours d’une manifestation

 
Au titre du nouvel article 431-9-1 du Code pénal, le fait, pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Plusieurs peines complémentaires peuvent être prononcées (C. pén., art. 431-11, mod.).

À ce sujet, on relèvera que le Conseil constitutionnel a rejeté les griefs tirés de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines (§ 29 et s.).

En premier lieu, en retenant la dissimulation volontaire du visage, le législateur a visé la circonstance dans laquelle une personne entend empêcher son identification, par l'occultation de certaines parties de son visage. Il ne s'est ainsi pas fondé sur une notion imprécise.

En second lieu, en visant les manifestations « au cours ou à l'issue » desquelles des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, le législateur a, d'une part, précisément défini la période pendant laquelle l'existence de troubles ou d'un risque de troubles doit être appréciée, qui commence dès le rassemblement des participants à la manifestation et se termine lorsqu'ils se sont tous dispersés. D'autre part, en faisant référence au risque de commission de troubles à l'ordre public, le législateur a entendu viser les situations dans lesquelles les risques de tels troubles sont manifestes.

En troisième lieu, en écartant du champ de la répression la dissimulation du visage qui obéit à un motif légitime, le législateur a retenu une notion qui ne présente pas de caractère équivoque.

Observations : On notera que la dissimulation du visage dans l’espace public est déjà sanctionnée : de manière générale, en tant que contravention de la 2e classe (L. n° 2010-1192, 11 oct. 2010, JO 12 oct.) et de manière spéciale en ce qui concerne les manifestation sur la voie publique en tant que contravention de la 5e classe  (C. pén., art. R. 645-14, créé par D. n° 2009-724, 19 juin 2009, JO 20 juin). Et ce dernier texte n’a pas été abrogé par la présente loi. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une double incrimination ?

La contravention vise « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public ». Dans le cadre du nouveau délit, c’est « le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime » qui est sanctionné.

Les éléments constitutifs sont en effet très proches :
  • une circonstance préalable : une manifestation sur la voie publique ;
  • un élément matériel : la dissimulation du visage au sein ou aux abords de la manifestation
  • un élément moral : l’intention de ne pas être identifié (en l’absence de motif légitime).
Mais si l’on examine attentivement la rédaction des textes en ce qui concerne la composante relative à l’ordre public, deux éléments discriminants pourraient être identifiés. D’une part, la contravention vise les atteintes, tandis que le délit vise les troubles à l’ordre public. Peut-être une différence de degré ? D’autre part, il serait possible de considérer que pour la contravention, la composante serait relative à l’élément moral (sorte de dol spécial ? à moins qu’il ne s’agisse simplement d’une maladresse de rédaction du texte), tandis que pour le délit, elle affèrerait à la circonstance préalable qu’est la manifestation. Dès lors, en termes de preuve, ladite composante serait peut-être plus aisée à caractériser dans le cadre du délit (au regard des précédents matériels ?), que dans le cadre de la contravention (présomption d’innocence oblige).

Les deux infractions pourraient donc ne pas être identiques, nonobstant leur différence de classification. Quoi qu’il en soit, légalité des délits et des peines (clarté de la loi, non-rétroactivité, specialia generalibus derogant) et bien, sûr, le principe non bis in idem sont autant des principes généraux mis en balance avec cette nouvelle incrimination.
 
 

3) Interdiction préfectorale de manifester (inconstitutionnalité)

 
En revanche, l’une des mesures « emblématiques » de la loi « anti-casseur » a été censurée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC, § 23 et s.).

Rappelons qu’avec l’article 3 du projet de loi (Sénat, TA n° 77, 12 mars 2019), il s’agissait d’autoriser le préfet à interdire à une personne de manifester sur la voie publique, si, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, cette personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Mais pour les Sages de la Rue Montpensier (§ 23 et s.), les dispositions contestées, telles que rédigées, laissaient notamment à l’autorité administrative, « une latitude excessive dans l’appréciation des motifs susceptibles de justifier l’interdiction ». Compte tenu de la portée de l’interdiction susceptible d’être prononcée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d'expression collective des idées et des opinions, une atteinte qui n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée.
 
 

4) Interdiction de manifester dans le cadre du contrôle judiciaire


L’article 7 de la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations complète l’article 138 du Code de procédure pénale, en insérant un 3° bis.

Désormais, la personne mise en examen qui encourt une peine d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave pourra être astreinte, dans le cadre du contrôle judiciaire, à ne pas participer à des manifestations sur la voie publique dans des lieux déterminés par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention.
Ces dispositions ont été validées par le Conseil constitutionnel (§ 36 et s.). Au regard des conditions du prononcé de la mesure, le législateur a procédé à une conciliation équilibrée en termes de liberté d'aller et de venir. Il n'a pas davantage porté au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Pour les mêmes motifs, le texte ne soumet pas les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire.
 
 

5) Participation délictueuse à un attroupement : poursuite en comparution immédiate et CRPC


En application du nouvel article 431-8-1 du Code pénal, la participation délictueuse à un attroupement (C. pén., art. 431-1 et s.) pourra être poursuivie par voie de convocation par procès-verbal, de comparution immédiate (C. pr. pén., art. 393 à 397-7) et de comparution sur reconnaissance de culpabilité (C. pr. pén., art. 495-7 à 495-15-1).
 
 

6) Peine d’interdiction de manifester


L’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, antérieurement régie par le Code de la sécurité intérieure (CSI, art. L. 211-13) est désormais codifiée dans le Code pénal (C. pén., art. 131-21-1, nouv.).
Cette peine, qui ne peut excéder une durée de trois ans, emporte défense de manifester sur la voie publique dans certains lieux déterminés par la juridiction.

Comme antérieurement, le fait de participer à des manifestations sur la voie publique, en méconnaissance de la condamnation à cette interdiction est également incriminé et puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (C. pén., art. 438-38-1, nouv.).
 
L’interdiction de manifester peut être prononcée à titre de peine complémentaire (C. pén., art. 222-47, mod.), en cas de :
  • violences volontaires commises lors du déroulement de manifestations sur la voie publique (C. pén., art. 222-7 à 222-13) ;
  • participation à dessein, à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens (C. pén., art. 222-14-2) ;
  • manifestations illicites et participation délictueuse à une manifestation ou à une réunion publique (C. pén., art. 431-9 et s.) ;
  • destruction, dégradation ou détérioration volontaire d'un bien appartenant à autrui, le cas échéant aggravée, dangereuses (C. pén., art. 322-6 à 322-10) et non dangereuse pour les personnes (C. pén., art. 322-1, al. 1er, 322-2, 322-3), lorsque les faits sont commis lors du déroulement de manifestations sur la voie publique.
L’article 131-21-1 du Code pénal précise que si cette peine accompagne une peine privative de liberté sans sursis, elle s’applique à compter du jour où la privation de liberté a pris fin.

 

7) Inscription au fichier des personnes recherchées


L’article 230-19 du Code de procédure pénale, relatif à l’inscription dans le fichier des personnes recherchées est également retouché.

Les personnes condamnées du chef d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique (C. pén., art. 131-21-1, nouv.) pourront désormais y être inscrites.

Il en sera de même si cette interdiction est prononcée dans le cadre du contrôle judiciaire de la personne mise en examen (C. pr. pén., art. 138, mod.).
 
 

8) Action récursoire de l’État

 
On mentionnera enfin l’insertion d’un nouvel alinéa au sein de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, permettant à l’État d’exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions de la responsabilité civile délictuelle (C. civ., art. 1240 et s.).
Source : Actualités du droit